E.N.I.B
1865/1962
Antoine CIABRINI (Promotion 42/46)
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"Rares sont ceux d'entre-nous qui,
arrivés au seuil de leurs vieux jours, connaissent le bonheur de
retrouver un maître d'école de leur lointaine enfance. J'ai eu cette
chance en 2006. Je n'avais pas encore neuf ans, ce matin d'octobre 1950 où je me suis retrouvé sur un banc du CE2 avec mes camarades, considérant d'un œil inquiet cet inconnu en blouse grise et au regard sombre qui était notre nouvel instituteur. Comme tous les enfants nous le croyions vieux. Antoine Ciabrini était pourtant tout jeune puisqu'il n'était sorti de Bouzaréa que cinq ans plus tôt pour rejoindre aussitôt Ménerville, sa première affectation. Son prénom nous était inconnu bien sûr ! Il s'appelait "M'sieur", comme tous nos maîtres. Nous ne savions pas non plus que nous aurions la chance - car c'en était une - de l'avoir comme instituteur pendant deux ans. Il passa en effet au CM1 l'année suivante avec la même équipe de garnements. Lui aussi ignorait quelque chose ce jour d'octobre 1950 : que trois élèves de sa nouvelle classe rejoindraient un jour l'École Normale qu'il avait quittée moins de quatre ans auparavant. M'sieur Ciabrini était un bon instituteur, consciencieux, attentif, sévère mais toujours bienveillant. N'ayant d'autre préoccupation que celle d'éveiller notre intérêt, il outrepassa quelque peu les programmes pour nous faire découvrir l'imprimerie, la photo, le chant en canon et que sais-je encore. Doté d'un solide sens de l'humour, il avait créé dans un placard un soi-disant musée dont la visite était une récompense. Ce "cabinet de curiosités" contenait un fatras de choses aussi bizarres qu'hétéroclites : une chauve-souris empaillée, quelques cailloux soigneusement désignés, une flûte, un bocal contenant une couleuvre, etc. Mais la pièce maîtresse de ce bazar était un pédalier aux trois quarts rouillé récupéré sur un vieux vélo et fièrement étiqueté "La pédale de Zaaf" (Zaaf était alors un champion cycliste algérien renommé). Tous mes anciens camarades d'école en sont d'accord : il reste dans nos souvenirs notre instituteur de primaire préféré en dépit des retenues, des lignes et des coups de règle sur la main. Comme nous évoquions ensemble il y a quelques années ces fameux coups de règle dont j'avais eu ma part, il me dit avec un sourire : "Aujourd'hui j'irais direct en prison". Après Ménerville il prit en charge la tournée du Bibliobus puis sa trace se perdit avec l'exil. Je ne me souviens plus en quelles circonstances nous nous sommes retrouvés mais quelle joie de revoir mon vieux maître ! Nous sommes allés plusieurs fois chez lui à Fontainebleau et c'était un plaisir de l'écouter raconter ses aventures avec au coin de l'œil un éclair de malice. Corse jusqu'au bout des ongles, il passait la moitié de l'année sur l'île, entre Porto Vecchio et Bonifacio. C'est d'ailleurs sur le port de Bonifacio que nous nous sommes vus pour la dernière fois il y a deux ans, la seule fois ou je me suis permis de l'appeler Antoine et non plus Monsieur. Mais rien au monde n'aurait pu me forcer à abandonner le vouvoiement. Un maître d'école ça se respecte à vie, même si ce n'est plus la mode aujourd'hui. Mes copains et moi avions l'impression qu'il aimait vraiment ses élèves. S'il m'était resté le moindre doute à ce sujet il l'a balayé un jour à la table d'un restaurant chinois où j'avais apporté mes photos de classe des deux années passées avec lui cinquante-cinq ans auparavant. Il a posé l'index sous chacun de ses anciens élèves et les a tous nommés l'un après l'autre sans se tromper une seule fois tout en brossant un portrait rapide de chacun. Et je dis bien tous ! Comme je lui manifestais mon étonnement devant une pareille performance, il me répondit : "Que veux tu... nous avons partagé deux ans de notre vie. Il est bien normal que je ne vous aie pas oubliés !" Antoine Ciabrini s'est éteint le 9 novembre 2014. Bouzaréa a perdu un grand ancien, ses élèves ont perdu leur meilleur maître d'école et j'ai perdu un ami. Rémy Laven (Promo 58/62)
Le maitre et l'élève |
Antoine CIABRINI, nous avait confié en 2008, quelques souvenirs et photos sur sa scolarité à Bouzarèa. Vous pouvez retrouver ceux-ci en cliquant sur le lien ci-dessous :
Au nom de tous les anciens de l'ENIB, le site présente ses plus sincères condoléances à la famille d'Antoine CIABRINI.