E.N.I.B
1865/1962
Mohammed BEN CHENEB (1869/1929)
Promotion (1886-1889)
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Nous tenons à remercier chaleureusement le Docteur Hédi BENCHENEB petit-fils de Mohammed BEN CHENEB qui a mis à notre disposition le texte qui illustre cette page . (25 juin 2007)
Peu de gens connaissent Mohammed Ben Cheneb en dehors du cercle restreint de quelques lettrés, des orientalistes et des arabisants. La surprise du public est grande à l’évocation du rayonnement de ce musulman algérien sur la culture arabe au Maghreb au début du XXe siècle, plus précisément pendant 30 ans, de 1900 à 1929, de sa notoriété aussi bien dans les milieux algériens qu’européens. Les historiens sont encore plus étonnés d’apprendre qu’il a sa place parmi eux : pourtant, n’était-il pas, dès 1905, secrétaire général adjoint de la fameuse Revue Africaine, la revue éditée par la Société historique algérienne, société dont il est l’un des deux membres désignés pour la représenter au XIVe Congrès international des Orientalistes d’Alger, la même année. Cette place dans le bureau directeur de cette société scientifique réputée lui permet justement de côtoyer par la suite de nombreux historiens et savants réputés, professeurs à la Faculté comme Stéphane Gsell, Jérôme Carcopino, Louis Gernet, pour l’Antiquité, Marcel Bataillon et Jean Cazenave pour la Renaissance, Émile Félix Gautier le géographe et même Fernand Braudel, notamment lorsque, nommé en 1924 professeur au lycée d’Alger (lycée Bugeaud ou « Grand Lycée », devenue lycée Émir Abdel Kader), ce dernier venait à la Faculté d’Alger ou au siège de la Revue Africaine pour voir ses collègues ou présenter ses articles sur les Espagnols en Afrique du Nord (1928). ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Après une enfance studieuse traditionnelle comprenant l’étude à l’école coranique, l’école primaire française et le Collège de Médéa (aujourd’hui lycée Ben Cheneb), où il est remarqué pour sa motivation et son sérieux au travail, il s’oriente vers l’un des rares débouchés de l’époque pour les musulmans dans le système colonial, la carrière d’instituteur. Il entre à l’École Normale d’Instituteurs d’Alger en 1886. Celle-ci avait été créée en 1865 à Mustapha supérieur, sur les hauteurs encore boisées d’Alger. On y accédait par le chemin du Télemly(devenu boulevard Krim Belkacem) ou la rue Michelet (maintenant rue Didouche Mourad). Son noyau se composait d’une vieille « maison mauresque », maison traditionnelle algéroise rescapée de l’urbanisation coloniale auquel avaient été rajoutées des constructions annexes et même, en raison de l’exiguïté des locaux, un immeuble loué en partie pour les élèves indigènes à un professeur de l’école, Belkacem Ben Sedira (1846-1901). Dans cette école délabrée, tombant en ruines par endroits, les élèves musulmans suivaient des cours séparés des autres élèves, dans une section appelée « cours normal indigène ». Mohammed Ben Cheneb est reçu au brevet de capacité d’instituteur après deux ans d’études, en juillet 1888. La même année, l’École, menacée par un glissement de terrain, est installée précipitamment à la Bouzaréa dans une bâtisse destinée à l’origine à un asile d’aliénés et qui devient, définitivement, l’École normale d’instituteurs de la Bouzaréa. Le 15 octobre 1888, Mohammed Ben Cheneb est nommé instituteur indigène adjoint à à Sidi Ali Tamdjaret, à 30 km de Médéa, à l’âge de 19 ans, poste qu’il va occuper durant quatre ans. Le 12 octobre 1892, il est affecté en temps qu’instituteur indigène adjoint à l’école arabe-française d’Alger (située Rampe ou boulevard Valée, devenu boulevard Louni Areski), dans le haut de la Casba, où il va enseigner pendant six ans. Il y retrouve un musulman algérien renommé, le directeur Ibrahim Fatah, qui se bat pour maintenir l’enseignement primaire et son accès aux petits musulmans d’Alger, dans un bâtiment d’une grande vétusté, après avoir lutté contre sa fermeture.
Mohammed Ben Cheneb est assis à la gauche de Brahim Fatah (Photos datée entre 1892 et 1898) Cette période va être décisive pour la formation et la suite de la carrière de Mohammed Ben Cheneb. En même temps qu’il exerce son métier d’instituteur, de 1892 à 1898, il occupe son temps libre en suivant des cours au lycée, dans les mosquées, à l’École des Lettres d’Alger et prend même des leçons particulières. C’est ainsi qu’il étudie au lycée l’italien. A l’École des Lettres, il suit les cours de savants qui font le renom des études orientalistes à Alger comme Belkacem Ben Sedira, Edmond Fagnan (1846-1931) et surtout René Basset (1855-1924). Il étudie la théologie, la science du hadith, la généalogie, la rhétorique arabe, la logique, auxquels il joint la connaissance de l’hébreu, du turc, du persan, du latin, de l’espagnol, de l’allemand, et de l’anglais. Il se présente avec les fonctionnaires de l’enseignement public et les élèves maîtres de l’École normale d’Alger au diplôme d’arabe de l’École des Lettres, qu’il passe avec succès, le 19 juin 1894. En 1896, il n’obtient que la première partie du baccalauréat car il est gravement atteint de la variole, comme beaucoup de ses compatriotes. A cette époque il a acquis un savoir encyclopédique et montre déjà une attirance pour la poésie qu’il conservera dans toute son œuvre scientifique et jusqu’à la fin de sa vie: il compose des poèmes dans les deux langues, arabe et française. Il manifeste également un goût particulier pour la pédagogie. Loin de se contenter de mettre en pratique la formation d’instituteur qu’il a reçu, il fait des recherches sur la pédagogie musulmane et publie trois traductions pour les faire connaître aux Européens et leur montrer des notions de pédagogie que beaucoup se seraient refusés à attribuer à un musulman : "De l’éducation en Occident et en Orient" par Ahmed Farès, "Notions de pédagogie musulmane" et "Lettre sur l’éducation des enfants" par al-Ghazzali. Ce sont d’ailleurs ses qualités pédagogiques qui vont lui attirer par la suite un public toujours plus nombreux à ses cours, et dans lequel se retrouveront non seulement les meilleurs arabisants de la Faculté d’Alger, mais des savants comme Évariste Lévi-Provençal, Régis Blachère ou Jacques Berque. C’est après avoir remplacé son maître Belkacem Ben Sedira pendant un an à l’École des Lettres d’Alger qu’il est nommé professeur à la médersa de Constantine, le 8 mai 1898. C’est le début de la notoriété et le tournant d’une carrière qui va l’emmener vers l’enseignement supérieur et la publication d’ouvrages magistraux. Mais ceci est une autre histoire !
Le Professeur BEN CHENEB dans les années 1920 |