E.N.I.B

                                                                            1865/1962

 

 

Brahim FATAH (1850-1928)

Promotion 1866/1869

 

 Cette page est consacrée à l'un des trois élèves algériens de la première promotion de l'ENI d'Alger.

  Nous tenons à remercier chaleureusement  Christiane BURET-COHEN  petite-fille de Brahim FATAH qui a mis à notre disposition tous les textes et les photos qui illustrent cette page.

                   

            Brahim FATAH est né à Tixerain (commune de Birmandreis) en 1850.

            Il est scolarisé à Alger dès l'âge de 6 ans. Il va continuer ses études à l'école franco-arabe de Blida avant d'intégrer le Collège Impérial d'Alger créé en 1857 par Napoléon III. Il va y retrouver comme professeur  Mr. DEPEILLE, son premier instituteur.

            En 1866, il est reçu au Concours d'entrée a l'École Normale d'Instituteurs d'Alger qui vient d'être créée. Il va ainsi faire partie de cette première promotion d'élèves-maîtres nés en Algérie.  Voir :  Histoire de l'ENIB

            En juin1869 il obtient son Brevet, et à la rentrée de septembre, il est nommé instituteur adjoint à Miliana. Il va y exercer un an avant d'être nommé à Aumale. Puis il sera appelé sous les drapeaux pour effectuer son service militaire dans l'artillerie.

            De retour de l'armée, il enseignera successivement à l'Arba (1872), Alger (1874) puis de nouveau à l'Arba(1876).

            En 1877 il est nommé à  l'école arabe-française 34 rue Porte Neuve, où il va seconder  M.DEPEILLE qui a été son premier instituteur et son professeur au Collège Impérial.

Brahim FATAH dans sa classe

     L'histoire de l'école de la rue Porte neuve est significative. Quelques années après la conquête, Alger comptait une vingtaine d'écoles arabes ou zaouïa. En 1843, l'Administration voulut introduire l'enseignement du français dans certaines de ces écoles : 

"Mais on était loin de penser qu'on allait rencontrer des difficultés : celles-ci furent créées, non par la population indigène d'Alger qui ne demandait qu'à bien faire, mais par certains chefs religieux, fanatiques, intéressés, ennemis de tout progrès. Le muphti maliki Mustapha ben Kebabti, chargé de la surveillance de l'École de la grande Mosquée qui recevait les meilleures familles, s'opposa à cette mesure et fit donner la bastonnade à un élève qui avait fréquenté l'école arabe-française.[...]. A la suite de cet incident de faux bruits furent propagés parmi les arabes de l'intérieur. On accusait l'Administration de vouloir convertir les indigènes au christianisme en s'emparant de la direction morale des écoles arabes-françaises." (B.FATAH : L'enseignement des indigènes)

         C'est M. DEPEILLE qui, en 1851, utilisant sa connaissance de la langue arabe et ses bonnes relations avec les Algériens réussit à ouvrir une école arabe-française au n° 34 de la rue Porte-Neuve. M. DEPEILLE était un professeur de mathématiques du collège de Toulon qui avait demandé à venir enseigner en Algérie en 1834. Porté à l'étude des choses de l'Islam, il assimila bien vite la langue du pays. La création de l'école arabe-française réussit parce qu'il a accepté de laisser enseigner le Coran de 7 heures à 8 heures du matin.

 En 1854 l'école comptait 210 musulmans et 12 français.

 "La grande majorité des indigènes ont montré depuis longtemps qu'ils ne refusent pas d'envoyer leurs enfants dans une école française pour y recevoir l'instruction dont ils reconnaissent l'utilité, mais à la condition que les croyances religieuses soient respectées.....Les indigènes tiennent en outre à ce que leurs enfants apprennent la lecture et l'écriture de l'arabe. [...] j'ai toujours remarqué que les pères de famille qui viennent présenter leurs enfants ne cèdent à aucune pression administrative, et ne sont attirés par l'appât d'aucun avantage matériel. Les pères de famille agissent librement comme des hommes qui cherchent la meilleure voie vers laquelle ils doivent diriger leurs enfants; cette voie, ils la trouvent dans l'idée de leur donner le moyen de se mettre en rapport avec les Français et de gagner leur vie par le travail." (B. Fatah, id, p. 6 et 8)

    En 1882, M.DEPEILLE prend sa retraite et il demande que Brahim FATAH lui succède à la direction de l'école.

  "C'est à cette époque que se place un des traits les plus saisissants de sa longue carrière. Il révèle la profondeur de son dévouement et la force d'une vocation véritable. A la retraite du premier directeur M. Depeille, la municipalité d'Alger supprima la subvention qui rétribuait "sous-maîtres et moniteurs". B. Fatah restait donc là, privé de ressources. Comme le signale le rapport de F. Buisson alors Inspecteur général : "Ils n'eurent pas le courage de s'en aller, de laisser là les quelques centaines de petits enfants qui s'obstinaient à venir en classe... Il y avait dix mois que durait ce tour de force, quand l'État intervint, et, prenant à sa charge les frais de cette pauvre école, en empêcha la suppression."  (Bulletin Universitaire de l'Académie d'Alger, juillet 1887)

    En 1884, Brahim FATAH, en plus de sa fonction de directeur, va être nommé professeur d'Arabe au "Cours Municipal Arabe" du Bd. Gambetta d'abord pour les enfants puis pour les adultes.

     Il était aussi musicien. En 1885, ses élèves remportent le 1er prix au Concours de chant entre les écoles d'Alger.

"[...] Cet éducateur de race savait utiliser la musique comme moyen d'action sur la sensibilité. Il était musicien. Tenir sa partie de flûte ou de violon dans un concert de famille ne l'embarrassait pas, et plusieurs de ses enfants avaient une âme d'artiste. Il possédait une voix puissante et savait, avec un minimum de moyens, mais beaucoup d'ingéniosité, enseigner aux petits indigènes d'origine souvent fort rude, le solfège et le chant. Il les faisait chanter avec douceur et cultivait leur goût. Ce sens de l'art lui valut le premier prix et une médaille au Concours interscolaire de chant en 1885. "Quand on vit arriver sur la scène du Théâtre tous ces petits arabes, et que, guidés par des signes imperceptibles, ils se mirent à chanter à deux et trois voix avec une sûreté d'attaque et d'intonation, une pureté de voix remarquables et un sens poussé des nuances et de l'expression, ce fut un émerveillement général."" (Léon Buret, Bouzaréa, page 82)

        En 1887, l'école est transférée au Boulevard de la Victoire; Brahim organise et dirige la nouvelle école de quatre classes qui deviendra par la suite l'école Sarrouy. En 1888, il est chargé de créer et de diriger une nouvelle école "d'indigènes" Rampe Valée :

 

 L'école ouvre avec 20 élèves. Ils seront 70 l'année suivante. En 1899 ils seront 220 répartis en 5 classes et deux ateliers de travaux manuels (travail du bois et travail du fer.....comme à l'École Normale de Bouzarea) car Brahim FATAH avait en haute estime le travail manuel.

 

        Brahim FATAH dirigera l'école de la Rampe Valée jusqu'à la fin de sa longue carrière, en 1923.

        Il est l'auteur de plusieurs manuels

            Syllabaire - exercices de langage, 1894 ;

            Lecture et récitation, 1897 ;

            Méthode directe pour l'Arabe, illustrée, 1904 (médaille d'argent à Anvers)

         Particulièrement estimé de tous, les honneurs ne lui manqueront pas : médaille d'or à l'exposition de 1889, Officier d'Académie en 1890, médaille d'argent à l'exposition de 1900, officier de l'Instruction publique en 1901, Chevalier de la Légion d'Honneur en 1922.

"Sa méthode, consistait à stimuler l'effort personnel, à susciter l'émulation, en excitant la curiosité intellectuelle, à donner le goût de l'étude, le très vif désir de voir, de penser par soi-même. Il faisait aimer le vrai; avec lui il ne fallait croire que sur bonnes preuves. Il ne nous habituait jamais à recevoir la science toute faite." (M.BRANKI  Écho d'Alger 29/04/1929).

            Brahim FATAH décède en 1928.

        C'est au milieu d'une affluence considérable qu'il sera conduit au cimetière. La presse note la présence du Vice-recteur, d'un Inspecteur général, de nombreux inspecteurs primaires,  de directeurs, instituteurs, professeurs, bibliothécaires, conseillers généraux, conseillers municipaux et personnalités diverses qui sont souvent d'anciens élèves du défunt.

            M.DUMAS Directeur de l'École Normale d'Alger-Bouzaréa dira dans son discours d'hommage :

    "M. Fatah a été un précurseur. Quand on se reporte aux origines de l'enseignement des indigènes, c'est surtout son nom que l'on retrouve partout à Alger, c'est lui qui a fondé les deux écoles les plus anciennes de la ville [...] M. Fatah était particulièrement qualifié pour réaliser cette liaison délicate qui s'opère par l'école entre l'âme française et l'âme indigène. Par ses origines, par ses impressions d'enfance, il avait été pénétré de cet enchantement dont l'Islam sait envelopper les esprits. Et puis l'instruction française était venue; du collège impérial il passait à l'École Normale d'Instituteurs et la solide culture qu'il y recevait lui ouvrait de nouveaux horizons. M. Fatah n'avait rien abdiqué de ses croyances premières, et c'est parmi les tombes musulmanes qu'il va dormir de son dernier sommeil, mais sa foi, pour solide qu'elle fût, n'avait rien d'étroit ni d'exclusif. A ce haut souci de dignité, à cette force d'âme dont les racines plongeaient peut-être dans l'Islam auquel il restait très attaché, il joignait un esprit très ouvert et une parfaite tolérance, fruits de la culture française. "   

           

   Le vocabulaire et le style des textes cités peuvent surprendre de nos jours. Ce sont ceux de l’époque.

   Brahim Fatah avait sans cesse associé dans son esprit comme dans son enseignement le développement de la science avec l'élargissement de l'esprit et le perfection­nement de la conduite. C'est bien par la science n'est-ce pas que devaient se dissoudre les préjugés aveugles, le fanatisme, et que devait se réaliser une ère purement constructive, l'oeuvre d'union fraternelle entre les races et entre les nations. La guerre de 1914 porta un rude coup à son optimisme, à sa foi dans la civilisation et le progrès. Il n’en continua qu’avec plus de fermeté son œuvre éducatrice, plaçant au premier plan l’éveil de la conscience, la formation du caractère, le souci de la justice et de l’équité.

  Brahim FATAH est considéré par les bouzaréens d'aujourd'hui, comme un exemple de ces enseignants qui ont  oeuvré en Algérie pour le rayonnement de la culture et de la France.

  Un grand merci à Édouard Pons pour la réalisation de cette page consacrée à mon grand-père.

  Christiane Buret-Cohen

 

 

 

       

                                                                                                                                                                                              

    Le Professeur Léon BURET gendre de Brahim FATAH

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