E.N.I.B

                                                                        1865/1962

 

 

LA PROMO 1937/1940

Lucien PATANIA

 

 

      " Je suis né en 1920 à Castiglione. Mon père était patron pécheur professionnel.

     Après l'EPS de Boufarik(1932-1937) je suis admis au concours d'entrée à l'ENIB en juin 1937.(Promo 1937/1940). A la rentrée de 1939, je suis nommé instituteur intérimaire dans l'enseignement des indigènes, pour remplacer un maître mobilisé. Après les Chantiers de jeunesse je suis nommé à Hussein Dey Place.

      Je rejoins ensuite la 2eme DB à Temara (Maroc) avec laquelle je participe à la libération de Paris et de Strasbourg.(Croix de guerre à l'ordre du régiment.

      En octobre 1945, je suis nommé à Alger (Rampe Vallée) puis à Guyotville en 1950 comme prof de CEG. En 1962, je suis nommé au CEG de Bandol, puis comme directeur aux CEG du Beausset et enfin de Sanary en 1969. En 1976, je suis nommé Principal du CES de la Ferté/Jouarre avant de prendre ma retraite en 1978."

      Chevalier des palmes académiques (1969), Chevalier du Mérite National (1976) Chevalier du Mérite Maritime (1985) Chevalier de la Légion d'Honneur (1999)

Auteur des ouvrages :

            -Chronique d’un itinéraire singulier

            -Fables marines

            -Histoire des Prud’homies de Pêches varoises

            -Nouvelles fables marines et autres textes

 

    Quelques souvenirs de l'ENIB par Lucien PATANIA

Fin juin 1937 au Collège du Boulevard Guillemin à Alger.. lorsque les résultats définitifs du Concours d’entrée à L’EN de Bouzarea furent proclamés et que j’entendis mon nom( le dernier de la liste à égalité avec NAIMO sur 30 élèves européens admis),  je fus saisi de stupéfaction heureuse, tant je m’attendais peu à cette réussite( j’avais fait un écrit très moyen , mais un oral brillant). Transporté de bonheur, je me suis mis à grimper les colonnes du préau où les candidats admis  à l’écrit attendaient nerveusement les résultats définitifs… Je songeais aussitôt à la joie immense de ma douce maman qui avait tout fait pour m’épargner le dur métier de pêcheur pratiqué par mon père.

            L’EN de Bouzarea, avec ses galeries en arcades avait été construite dans un domaine boisé. Nos promenades nous dirigeaient vers des ravins broussailleux, plantés d’arbousiers, que nous allions piller au plus fort de leurs fruits.

            Les repas, servis sous l’autorité d’un Intendant de choc : Mr DELPRETTI, énergique et compétent, constamment sur le terrain me firent  oublier la médiocrité des repas de l’EPS de Boufarik . La qualité des plats me donnait le sentiment que chaque repas était un ‘festin ‘: poulets rôtis, seulement des cuisses et des blancs, rosbif, gigot, crevettes rouges à l’armoricaine, morue en aïoli, merlans…

            Psychologie (1ère année) et Sociologie (2ème année ) étaient enseignées par Mr Di LUCCIO, professeur savant et disert, original par ses digressions dans tous les sens, que je devais retrouver plus tard , après la guerre , comme inspecteur de l’Enseignement primaire alors que j’étais jeune instituteur à Alger Rampe Valée et à Guyotville.

            Un tout jeune professeur de Sciences Naturelles et Physiques, venu de Métropole: Mr LAITIER débuta son premier cours de Sciences Naturelles dans notre classe en prononçant d’un ton doctoral et cérémonial : « l’homme est un testicule ». Je pus constater dans ma longue vie, que cette boutade était en grande partie vraie. Il vouait une passion à la recherche de pierres le dimanche, dans le massif de la Bouzarea, riche en trouvailles minéralogiques.

            En fin de deuxième année, dans l’épreuve de Travaux Pratiques du Brevet Supérieur qu’il notait, je fus confronté à ‘ la chaîne nerveuse de la crevette’. Il fallait disséquer une crevette rouge et reconstituer sa chaîne nerveuse sur une feuille de papier à dessin, crevette que j’eusse préféré dans mon assiette. J’avais horreur des dissections. Venu consulter mon exécrable travail , il m’apostropha sévèrement en ces termes: « Vous n’êtes qu’un boucher !! Monsieur !!! ». Ce qui n’était guère aimable à l’égard de Bachir, notre aimable boucher familial du quartier Nelson à Alger. Il m’infligea la note infâmante pour un Normalien de 4/20, m’obligeant à repasser cette épreuve en septembre de la même année sur le sujet: «  La réfraction de la lumière ». Je revois le grand cristallisoir plein d’eau posé sur une feuille de papier Canson et le jeu d’épingles qu’il fallait piquer sur la feuille pour concrétiser les rayons lumineux. Enfin je retrouve le souvenir de mes efforts pour ‘ le calcul d’erreur’ auquel tenait beaucoup Mr LAITIER qui enseignait aussi la Physique . Comme pour la chaîne nerveuse de la crevette il vint examiner mon travail et me donner cette fois à espérer que j’obtiendrais une note convenable.

            Les mathématiques, surtout la géométrie dans l’espace étaient toujours ma bête noire. J’avais si peu d’attirance vers elles que je ne souviens plus du tout du nom du professeur de mathématiques. Paradoxalement, dans une matière où je ne brillais guère, je réussis une bonne épreuve en fin de deuxième année pour le brevet supérieur sur les sujets ‘ Le volume de la pyramide’ et ‘le trinôme du second degré’ qui me permit, chose inespérée de franchir la moyenne.

            Le Français était mon point fort. En littérature sous la houlette de Mr SIMONNEAU qui enseignait en deuxième année (Son épouse enseignait le Français en 1ère année dans l’indifférence générale), ’étude de l’ouvrage ‘ souvenirs d’enfance et de jeunesse ‘ d’E. RENAN m’avait impressionnée, imprimant dans ma pensée la légende de la ville d’YS en Bretagne engloutie dans les flots et la troublante citation de la Prière sur l’Acropole (si j’ai bonne mémoire) :’ La foi qu’on a perdue ne doit pas être une chaîne. Quand on l’a perdue, on l’enfouit dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts’

            A partir de la deuxième année, chaque normalien suivait un stage hebdomadaire dans chacune des trois classes primaires des cours préparatoire et moyens, annexées à l’École Normale. Un quatrième stage était accompli dans une classe de l’enseignement des indigènes, conduite par Mr BARRACHINA. Les enseignements et les conseils reçus durant ce stage me furent fort utiles dans mon premier poste intérimaire Kabyle.

            J’accomplis donc un stage au Cours élémentaire, dirigé par Mr CHAS. C’était un maître confirmé, estimé par tous les normaliens. Je pensais avoir réussi un bon stage mais quelle ne fut ma surprise lorsqu’il me déclara, d’un ton gentiment ironique’ C’est très bien, mais veillez à ne pas renouveler votre petite sieste de la leçon de choses ‘ ; un plat de morue à l’aïoli m’avait fait sombrer dans les bras de Morphée. Mr CHAS ne m’en tint pas rigueur et ne mentionna pas cet incident malencontreux dans son rapport de fin de stage et m’octroya la note généreuse de 14/20. Parmi ses observations, il nota ma prononciation algérienne , dont je suis encore très fier, malgré ce qu’il en reste, alors qu’il avait lui même un fort accent marseillais dont il ne cherchait pas, fort heureusement à tempérer.

            J’ai conservé une très bonne image de ce maître jovial, truculent, bon vivant, plein d’humour, qui savait relever nos travers pédagogiques avec finesse et qui prenait plaisir à nous raconter des anecdotes drôles… Son enseignement et ses conseils me tinrent lieu , pendant toute ma carrière d’enseignant de ligne de conduite.

            J’avais pour voisin de pupitre un élève maître très sympathique : Kader FIROUD, célèbre à L’EN par ses qualités de footballeur. C’était un avant-centre de grande classe : grâce à ses tirs fulgurants, il mettait à mal les défenses adverses et se trouvait presque toujours à l’origine des victoires remportées par L’EN dans les championnats scolaires.

            J’étais en deuxième année , le rédacteur en chef du ’PROFANE’ journal des normaliens du nom donné aux élèves maîtres de 2ème année. J’attendais souvent des articles de mes camarades … Aussi étais-je parfois contraint de compléter des pages entières, la plupart du temps, à l’aide de poèmes. C’est probablement de cette époque que date mon goût prononcé pour la rédaction de poèmes, que j’ai concrétisé, pendant ma retraite , par l’écriture de nombreuses fables marines, pour beaucoup imitées de La Fontaine que je classe parmi les plus grands poètes français, suivi par Racine et Victor Hugo. Ces fables, dont certaines de ma propre composition mettaient en scènes les poissons et l’environnement marin.

            Les élèves issus de deux communautés différentes faisaient bon ménage. Dans les dortoirs les lits alternaient . Au réfectoire, ils prenaient leur repas aux mêmes tables. Je n’ai pas souvenance d’une quelconque forme de racisme  et bien des amitiés sincères se nouaient entre européens et musulmans.

            L’École Normale de Bouzarea était un véritable séminaire laïc où l’on exaltait la tolérance, le respect d’autrui, la générosité. La discipline très stricte ne permettait pas d’écarts, ni de fantaisies. Tout élève maître surpris à frauder était irrémédiablement exclu  et ses parents devaient rembourser les frais de son séjour antérieur. Les élèves coupables de chahut ou de désordre étaient avertis et exclus s’ils récidivaient. Durant mes deux années passées à L’École, aucune exclusion ne fut prononcée.

            J’appris, là les rigueurs et la noblesse de ce beau métier d’instituteur et je pris la résolution de l’exercer comme un sacerdoce, ce qui ferait maintenant ricaner les beaux esprits. Me revient à ‘l’inflexible rigueur de Léonard de Vinci ‘ que cite Paul Valéry dans ‘Variété’.

            Comme il existait en Algérie un enseignement spécifique des Indigènes qui avait ses propres règles pédagogiques, l’EN accueillait pour un stage d’une année, des instituteurs métropolitains, destinés à exercer dans ces classes indigènes. Pour avoir connu en 39-40, les dures conditions de travail et d’existence à Izarazene  ( Kabylie), je voudrais rendre hommage à ces maîtres pour le rôle qu’ils assumaient et les soins attentifs qu’ils portaient à leurs petits élèves indigènes , avec de pauvres moyens, dans les domaines de l’apprentissage de la langue Française , de l’éducation, de l’hygiène et de la santé.

            A l’EN ces stagiaires constituaient un monde à part et nous n’avions aucun contact avec eux. Rien n’était fait pour les rapprocher de nous. C’est le seul regret sincère de mon séjour.

            Si j’ai pu franchir tous les échelons possibles de ma carrière enseignante, je le dois beaucoup à un maître exemplaire du Cours Moyen de l’École primaire de Castiglione :Mr MERCIERT, à un excellent jeune professeur de lettres de l’EPS de Boufarik qui devait devenir Inspecteur d’Académie et à l’EN de Bouzarea dont j’ai toujours gardé l’empreinte. 

                                                                                                                                                                  Lucien PATANIA(Octobre 2006)

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