E.N.I.B

                                                                                  1865/1962

 

 

 

Sylvette CYRILLE (1941-2008)

 

 

Un colibri léger s’est envolé

C’est cette photo que je préférais d’elle. Toute jeune, les yeux pleins d’espoirs, un sourire à  la Vinci, un rien de sérieux et beaucoup de douceur. Elle me disait parfois en avec son petit air de ne pas y toucher « mes copines de Bouzaréa me prenait pour Audrey Hepburn ». Et voilà que ce matin sur un coup de tête, sur une envolée d’amour elle rejoint son Cary Grant là, en équilibre à l’arrière d’une Vespa volée à quelques vacances romaines.

Depuis le début du troisième millénaire, Rémy « Konektor »Laven nous avait rapprochés. Une chose de bien pour ce talentueux ! Et ensuite pas un jour sans nouvelle. Son bouquin se met en place, doucement. Les pages se noircissent et je me régale. Elle doute parfois, alors elle shoote avec son numérique et nous offre quelques lignes de délicates impressions. Celles d’une jeune fille en balade, d’un poète qui aime et respecte les mots. Elle en joue si bien qu’après quelques jours de disette littéraire, l’appétit lui revient et son livre, son œuvre avance à nouveau. Et voilà qu’il parait avec une belle couverture, encore issue de son imaginaire. Elle gamberge ma copine, elle phosphore même pas mal et lance à travers la France de tous ceux qui l’aiment les exemplaires de son tendre sentiment pour l’Algérie et le petit bout de pelouse de son « Jardin d’Essai ». Tu sais Syl, je l’appelais comme çà, un écrivain ne meurt jamais et on raconte même sur le trottoir du quai Conti qu’ils sont « Immortels ». Il y a toujours dans le bac d’un bouquiniste, dans le déballé du square Brassens, dans le fond d’une vieille librairie ou tout simplement dans les tiroirs d’un normalien l’exemplaire d’un écrivain à qui l’on redonne vie en le lisant encore une fois. Et alors tu seras de nouveau avec nous, avec nos enfants ou petits enfants qui découvriront ainsi les beautés cachées du quartier du Hamma, ton coin à toi.

Ton dernier message de vendredi dernier m’inquiétait. « Je pars à l’Hôpital d’Épernay pour quelques temps, j’ai mal. On vient de me piquer un demi litre de je ne sais quoi et je vais essayer de dormir un peu pour faire passer la douleur ». Je répondais aussitôt que je t’attendais à Paris, que je viendrais te chercher si nécessaire pour partager avec toi un apéro au Flore et un déjeuner chez Lipp, dans cette République des Lettres, celle du 6°arrondissement que tu viens de rejoindre avec brio. Désormais ta famille, celle que tu t’es construite à la force de ton travail mais surtout de ton talent. L’autre, je ne la connais pas du tout. Toi seule, toi la mathélem de Bouzaréa me percutait. Quelques chaos je crois, des soubresauts champagnisés, aux parfums de ratafia, mais j’aime à penser que tu y fus heureuse, peut-être pas tout à fait à la hauteur de tout ce que tu avais à offrir. Je dis ce que je pense et je veux le partager avec tes petites sœurs.

Rémy et Doudou avec précaution m’ont tout de même flingué en m’annonçant vers les minuit ta montée aux étoiles. Te voilà maintenant avec les grands, dans le Panthéon des écrivains que l’on a tous aimés et respectés. Ils ont formé notre sensibilité. Salue pour nous Camus, Roblès, Ferraoun et tant d’autres. Mais surtout ceux-là, ceux de notre génération, de notre jeunesse. Et avec eux et pour l’éternité sois heureuse, écoute bien tout ce qu’ils vont te dire et quand tu auras le temps raconte nous un peu, comme tu l’as fait depuis des années. Ne garde pas tout. On a encore besoin de toi, Colibri. On t’aime Syl. Tu nous manques déjà.

                                                                                          José-Michel Gonzalez « Le Champs »
 

 

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