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"Parmi les personnalités marquantes que j’ai eu le privilège de connaître durant les quatorze années de mon enseignement à l’École Normale de Bouzaréa, une de celles qui m’a le plus influencé est incontestablement celle de l’Intendant (on disait encore Econome): Georges DELPRETTI. Je savais déjà à mon arrivée à l’École en 1948 quel rôle considérable il y jouait : mon beau-frère Jean Trama, ancien normalien, m’en avait parlé. Mais je ne tardai pas à me rendre compte par moi-même combien importante pouvait être son action sur la vie de l’établissement et dans son administration. C’était vraiment l’âme de l’École, et il y était viscéralement attaché.

Le contact avec lui fut bon. C’était un homme au premier abord assez froid. Il avait un caractère plutôt tranché et n’accordait pas facilement son amitié à tout le monde. Mais quand il le faisait, il se révélait d’une grande fidélité et d’une grande générosité. J’ai eu la chance, malgré la différence d’âge qui nous séparait, de devenir son ami, et cette amitié a duré jusqu’à sa disparition en 1988, longtemps après notre retour en Métropole.

Georges DELPRETTI était un authentique pied-noir. Son grand-père, Giovanni DEL PRETE, était originaire de Suisse, du Tessin, donc de la Suisse italophone. Il était arrivé en Algérie en 1842, et s’était installé comme briquetier à Boufarik chez un certain DESSAIGNE dont il épousa la fille en 1848 à Blida. Sur l’acte de mariage son nom est orthographié DELPRETTI, nom que la famille conservera désormais. Son fils, le père de notre Georges, né à Boufarik, s’installera bientôt à Birtouta, et c’est là que naîtra Georges, en 1898.

Georges DELPRETTI (1) vers 1910

Après des études à l’école primaire de Birtouta puis à l’E.P.S.de Boufarik, Georges DELPRETTI est reçu au concours d’entrée à l’E.N. de Bouzaréa (promotion 1915-1918). A sa sortie, après son service militaire, il est nommé instituteur à Bourkika où il enseignera de 1920 à 1925. Il enseignera ensuite à l’école d’application de l’E.N. puis entrera rapidement à l’économat de cette même école. Il y restera jusqu’à sa retraite en 1957. Entre ses années d’élève-maître, d’enseignant et d’économe, c’est plus de quarante ans de son existence qu’il passera à Bouzaréa, dans « son » école, à laquelle le rattachent aussi des liens familiaux : son beau-frère M.MARENCO (inspecteur d’Académie) était en effet l’époux de la fille de M. DUMAS, qui fut un des grands directeurs de l’E.N. de l’entre-deux guerres.

1 Georges DELPRETTI; 2 Mr MARENCO; 3 Mme MARENCO

Georges DELPRETTI exerçait donc une autorité incontestée sur l’Ecole et sur les élèves (tenue, discipline). Mais il avait aussi de grandes qualités humaines. Il connaissait chaque normalien, n’hésitait pas à intervenir pour aider à résoudre leurs éventuels problèmes. Il aimait beaucoup le sport, jouait au tennis, mais surtout s’intéressait au football. Chaque année, à plus de 50 ans, il participait avec ses amis MAZIER, Directeur de l’Ecole Annexe, et MOULIN, Inspecteur de l’Enseignement Agricole, au match traditionnel qui opposait la 4^ème année à l’administration de l’école. Il assistait régulièrement aux rencontres du championnat universitaire, et c’est d’ailleurs en grande partie à ces occasions que nous nous sommes plus étroitement rapprochés et sommes devenus de très bons amis.

Cette amitié ne s’est jamais démentie. J’allais souvent bavarder avec lui dans son bureau de l’économat. Je le tenais au courant de mes besoins et de mes problèmes, et je puis dire que je ne me suis jamais adressé à lui en vain. Le meilleur exemple de sa compréhension, mais aussi de son esprit d’initiative et de son autorité est celui de la salle de géographie de l’École. A mon arrivée à Bouzaréa, elle n’existait pas, et je devais me déplacer avec mon matériel d’une salle à l’autre. Un jour, dans une conversation banale, je lui fis part de mon étonnement de voir un établissement aussi important que l’E.N. dépourvu de salle spécialisée. Il m’amena alors directement sur la façade de l’Ecole côté ravin, et là, sous les salles de la Section et du bureau de Mr POSTEL, il me montra une série de salles obscures qui servaient de dépôt à de vieux meubles, et il me dit : « Est-ce que cela vous intéresserait de voir aménager ici votre salle de géographie ? ». Je lui répondis par l’affirmative, en ajoutant que cela impliquerait bien sûr d’importants aménagements. Il reprit : « Faites donc un plan sommaire de la salle que vous désirez, ajoutez-y vos suggestions d’aménagement intérieur et la liste du matériel nécessaire, et nous verrons ce que nous pourrons faire ». Je lui présentai donc rapidement mes suggestions, nous en discutâmes, puis l’année scolaire s’acheva. Je pensais évidemment que de l’eau passerait sous le pont avant que ces projets ne se réalisent. Quelle ne fut pas ma surprise, à la rentrée suivante, quand notre cher « boudjif » m’amena devant la salle, entièrement aménagée selon mes vœux, et même au-delà, complétée par un petit laboratoire avec table à dessin, bibliothèque, meuble à cartes etc.…

Tel était Georges DELPRETTI. Il ne faisait jamais de vaines promesses. Il ne perdait jamais son temps en vaines paroles. Il agissait.

Son départ à la retraite en 1957 créa un vide difficile à combler tant il s’identifiait à l’École. Il avait prévu et préparé cet inéluctable changement. Il avait acheté dans l’Allier, à Molinet, près de Vichy, une maison où il se retira. Ses fils, tous deux médecins, s’installèrent eux aussi en Métropole, l’un à Vichy et l’autre à Marseille. Nous continuâmes à correspondre pendant des années. Il tint même à venir avec son épouse à Toulouse, où j’avais été nommé en 1962, pour me rencontrer une dernière fois. J’ai conservé quelques unes des cartes qu’il m’adressait chaque nouvelle année, et cela jusqu’à janvier 1988, quelques jours avant sa mort, le 27 février, à Vichy, à l’âge de 90 ans. Ce fut un ami très cher, un des rares hommes qui aient marqué ma carrière et ma vie."

Toulouse:Mai 2005

Francis CURTES : Professeur d' Histoire Géographie EN Bouzaréa de 1948 à 1962