LE TRAIT D' UNION (1964-2000)
BOUZAREA
BOUZAREA
(poème
d'E. HAZAN)
C’était, en haut d’une colline,
Un bâtiment qui semblait bas ;
Il n’avait pas trop bonne mine,
Mais c’est l’esprit qui régnait là
En lettres, nous avions Disdet,
Et nous comptions ses « N’est-ce pas »,
Tandis qu’il perçait les secrets
De Panurge et Gargantua
En arabe, on avait Crouzet…
Au
lieu de dire « Slamtek la Chikh »,
On
bredouillait « Bifteck la Chikh »
Ou
même, horreur, « Sal’mec la Chikh »
Ca
le faisait parfois tiquer…
Sans
cesser l’écrire au tableau,
Il
disait, pour les rigolos :
« Mon
Dieu, que vous êtes badauds !.. »
Notre
surveillant redouté
Était
le terrible Briffa ;
Comme
devise on lui prêtait :
« Être
sévère ou n’être pas ! »
Que
je n’oublie pas Argilas
Le
petit prof qui bégayait ;
Il
ressemblait à Ménélas
Celui
qu’Hélène avait plaqué
A
chaque cour c’était sa fête !
Il
remplaçait le dur Puget ;
On
le surnommait « Gargoulette »
Et
sans crainte on le chahutait
On
a eu aussi Simonneau,
Dit
« Moudarra le Castillan ;
Et
Delpretti, qui portait beau,
Fut
notre boudjif souriant
Le
Directeur était Dumas,
Bou
Chnafa, Charlot Bras d’Acier ;
On
disait aussi « Fier à Bras »
Rapport
à son autorité
Son
souci de nous transformer
D’adolescents
invertébrés
En
éducateurs chevronnés
Méritait
le plus grand respect
Tous
ces professeurs admirables
Qui
ont fait nos personnalités
Leur
souvenir inoubliable
Reste
en moi gravé pour jamais
Un
jour je dirai les vertus
Que
j’associe à leur image ;
Aujourd’hui
je suis trop ému
Pour
en raconter davantage
Je
sens très fort battre mon cœur
En
parlant de ces choses-là…
Pour
nous ce fut un grand bonheur
D’avoir
connu Bouzaréa !…
E.HAZAN,
IDEN Alger-Blida
« Heureux comme Ulysse… »
Il est devenu banal, aujourd’hui, de s’embarquer même pour les antipodes. Il suffit de connaître les bonnes adresses. Une agence regroupe les amateurs ; elle affrète un avion ou un bateau, elle loue des chambres dans un hôtel, ou dans un « club ». Voilà tout. La farce est jouée. Il faut bien dire : la farce. Les dindons se sentent, au retour, plumés à ras.
Lancée un beau soir, au cours d’une « étude », l’idée
de cette escapade fit l’unanimité, (ou presque). Las ! Si le Cid, à la
tête de ses quatre pelés, reçut « un prompt renfort », et put
compter ses soldats jusqu’à « trois mille en arrivant au port »,
l’expédition vit bientôt fondre ses effectifs. Au lieu des quarante « profanes »
volontaires du début, on réunit à grand-peine HUIT partants à la veille du départ.
Encore ne restait-il en piste que CINQ « profanes ». Deux « vétérans »
s’étaient sacrifiés, ainsi qu’un ancien, déjà en service dans le bled.
(Aucun « tyron » tout de même). Y avait-il eu opposition des
parents ? (on leur obéissait encore en ce temps là !). Des petites
amies ? (Quand on n’habitait pas Alger ou sa banlieue, on n’avait guère
d’occasions de les rencontrer !). Avait-on manqué de moyens financiers ?
Reculé devant les hasards du voyage ? Chacune de ces raisons avait sûrement
joué, peu ou prou, pour l’un ou pour l’autre.
Quelqu’un
avait dû « cafarder » ! D’une voix aussi glacée que son
faux-col, Dieu le Père, dressé derrière son bureau d’acajou, infligea au
malheureux une réprimande dont il se souvient encore. Il lui « lava la tête »
dans les trois dimensions ! Toutefois, le pauvre bouquetin émissaire
n’eut pas besoin de chevroter bien fort pour souligner que tout était déjà
prêt, qu’il « ne manquait pas un bouton de guêtre », et que, après
tout, l’ÉCOLE n’était nullement impliquée dans l’affaire. ON eut la bonté
de se laisser convaincre, et ON ne s’opposa plus au départ.
FULGENCE
1
Le « chaïb » de l’époque était M.Dumas
2
M. Disdet était le professeur de Lettres des « vétérans »
3
« Le Profane » était le journal de la promotion
Un ancien sectionnaire se souvient
A tous les anciens sectionnaires et à leurs épouses, ce témoignage d’amitié.
E.HAZAN
Il
y a quarante ans de ça,
Je
sortais de Bouzaréa ;
Sectionnaire
et futur papa,
J’étais
nommé à Aït-Arfa.
C’était
un village kabyle,
Perché
là-haut sur un piton ;
Son
accès n’était pas facile
Pour
les piétons que nous étions
Ma
femme débutait à peine :
Nous
formions un de ces ménages
De
l’enseignement indigène,
A
la vie infiniment sage.
Être
instituteur dans le bled
Telle
était notre vocation,
Et
rêver au bord d’un oued
Fut
notre grande distraction !…
Les
mulets ont le dos pointu :
Nous
nous en sommes aperçus !
Après
trois heures de tape-cul,
Notre
arrivée nous a déçus.
L’école
était plutôt minable :
Deux
classes aux murs délavés ;
Le
logement était semblable
Et
les meubles dépareillés !
A
deux grands clous pendait la France
-Relief
du sol-, toute écornée ;
Il
régnait là une odeur rance
De
burnous et de chien mouillé !
Bien
sûr, pas d’électricité ;
L’eau
à la fontaine, à cent mètres ;
Un
vieux kanoun pour cuisiner :
Il
a bien fallu nous y mettre !
Nous
avions fait des provisions
Comme
pour soutenir un siège.
Ce
fut la joie des charançons
Qui
déjouèrent tous nos pièges !…
Le
jour de la rentrée des classes
Nous
avions cent gosses à nous deux !
Nous
nagions en pleine mélasse,
Mais
eux, ils étaient tout joyeux !
Après
quelques jours de panique
Notre
vie s’est organisée :
Langage,
histoire, arithmétique,
Nous
leur avons tout enseigné.
Nous
leur apprenions la Morale,
A
distinguer ce qu’est le Bien,
A
éviter de faire mal,
A
être un jour des citoyens.
Un
jour tout ça s’est détraqué :
Le
vent de la mort a soufflé,
Des
écoles furent brûlées
Et
des maîtres assassinés.
Bientôt
soumis au terrorisme,
Les
douars ont connu la peur,
Et
malgré tout leur fatalisme
Leur
peine faisait mal au cœur…
Notre
tâche était d’enseigner :
Nous
nous y étions engagés ;
Alors,
malgré les attentats,
Nous
avons rempli le contrat.
Dans
cette humble petite école
Où
nous avons été heureux
Nous
avons joué notre rôle ;
Leur
faire aimer la France, à eux…
Frères
français qui me lisez,
Peut-être
que vous comprendrez
Pourquoi,
au moment des adieux,
A
la fin juin soixante-deux,
En
les quittant, jeunes et vieux,
Nous
avons pleuré tous les deux…
E.HAZAN
Mon École Normale de Bouzaréah
Un normalien des années 30 raconte
Le 1er octobre 1937, je rejoignis l’École Normale de Bouzaréah
où les études duraient trois ans. Le statut était celui d’élève-maître
et à partir de dix-huit ans, on était considéré déjà comme fonctionnaire.
Le régime obligatoire était celui de l’internat. Chaque promotion comprenait
trente normaliens d’origine européenne et trente normaliens d’origine indigène.
Les cours, d’un même niveau, étaient communs, ainsi que les professeurs.
Dans les dortoirs, les lits des élèves européens et indigènes alternaient.
La nourriture était la même pour les uns et pour les autres. A la période du
jeûne, pendant le Ramadan, les musulmans prenaient leurs repas à des heures
différentes…Nous nous entendions bien et de solides amitiés se nouaient
entre élèves d’origines et de confessions différentes. Je n’ai pas
souvenance d’une quelconque querelle de nature raciste ou religieuse.
Nos camarades musulmans avaient un faible pour les matières
contemplatives et réussissaient bien en psychologie, sociologie, philosophie.
En revanche, ils manifestaient peu de goût pour les sciences…
J’avais pour compagnon de classe (nos pupitres se faisaient face) un
super champion oranais de football : Kader Firoud, dit « Kakamouni »
qui fit par la suite, comme joueur et entraîneur, les beaux jours de Nîmes
Olympique.
C’était un garçon charmant, très amusant et nous l’estimions
beaucoup. Grâce à sa terrible force de frappe, l’équipe normalienne
remportait de nombreux succès dans les tournois scolaires.
Cet établissement, avec ses galeries en arcades, avait été construit
au milieu des bois. Nos promenades intérieures nous dirigeaient vers des ravins
broussailleux, plantés d’arbousiers que nous allions piller, au plus fort de
leurs fruits. Au printemps, les fleurs champêtres composaient un tapis de
couleurs gaies. Les asphodèles y abondaient.
Les repas, servis sous la responsabilité d’un Intendant de choc, énergique
et compétent, constamment sur le terrain, me firent oublier la médiocrité de
la cuisine à base de « fayots » de l’EPS de Boufarik. La qualité
des plats me donnait le sentiment que chaque repas était un « festin » :
poulet rôti (à une époque
Psychologie et sociologie étaient enseignées par M.Di Luccio,
professeur savant et disert. Entraîné par l’étendue de ses connaissances,
il se perdait souvent dans de longues digressions, qui n’avaient plus rien à
voir avec le thème traité. Quelques années plus tard, après la guerre, il
sera mon inspecteur départemental et fera passer son certificat d’aptitude pédagogique
à mon épouse qui enseignait à l’école de filles de la rue Marengo (à
l’orée de la Casbah d’Alger) dans un cours préparatoire de plus de
cinquante élèves !…
Il
avait deux marottes : l’écriture script, qu’il imposait dans toutes
les classes de sa circonscription, et le dessin artistique.
Un tout jeune professeur venant de métropole était chargé des sciences
naturelles. M.Laitier vouait une passion à la recherche des pierres qu’il
traquait, le dimanche, dans le massif de Bouzaréah, paradis de trouvailles minéralogiques.
Il lui arrivait d’inviter à ces promenades géologiques trois ou quatre
camarades de classe qui partageaient avec lui cette passion. Nous plaignions sa
jeune et ravissante épouse délaissée, sans doute peu intéressée par les
pierres, et plus d’un parmi nous se serait bien chargé de la consoler.
En fin de 2ème année, nous subissions les épreuves de la
première partie du Brevet Supérieur (BS), considéré alors comme l’équivalent
du Baccalauréat. Je me tirai bien de l’épreuve de mathématiques : en géométrie,
démonstration du calcul de volume de la pyramide ; en algèbre, des
exercices sur le trinôme du second degré. Il en fut tout autrement de l’épreuve
de travaux pratiques de sciences naturelles : « la chaîne nerveuse
de la crevette » qu’il fallait reconstituer sur une feuille à dessin,
en disséquant une crevette rouge que j’eusse préféré dans mon assiette !…J’avais
horreur des dissections ! Lorsque le professeur s’approcha de moi et vit
le désastre de ma dissection, il m’apostropha en ces termes :
« Monsieur,
vous n’êtes qu’un boucher !…ce qui était vrai pour moi, mais
injuste pour Bachir, notre sympathique boucher mozabite auquel je pensai
machinalement.
En littérature, l’étude d’un ouvrage : « Souvenirs
d’enfance et de jeunesse » d’E.Renan, dont le style m’avait
impressionné, imprima dans ma pensée la légende de la ville d’Ys, en
Bretagne, engloutie dans les flots, et la troublante citation : « La
foi qu’on a eue ne doit pas être une chaîne. Quand on l’a perdue, on
l’enfouit dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts ».
A partir de la 2ème année, chaque normalien suivait un stage
hebdomadaire dans chacune des trois classes primaires annexées à l’école,
représentatives des trois cours : préparatoire, élémentaire, moyen. Du
5 au 10 décembre 1938, j’accomplis donc un stage au cours élémentaire, dans
la classe de M.Chas. C’était un maître confirmé, estimé de tous les
normaliens. Je pensais avoir réussi un bon stage, mais quelle ne fut pas ma
surprise lorsqu’il me dit, en fin de stage, d’un ton gentiment ironique :
« c’est bien, mais veillez à ne pas renouveler votre petite sieste de
la leçon de choses ! » C’était vrai : la digestion difficile
d’un excellent plat de morue à la provençale, avec aïoli, m’avait fait
glisser dans les bras de Morphée !…Interloqué, je ne sus que répondre.
M.Chas ne m’en tint pas rigueur et
ne mentionna pas cet incident dans son rapport de stage. Parmi ses observations,
il nota ma prononciation algérienne dont je suis encore très fier, alors
qu’il avait lui-même un fort accent marseillais qu’il ne cherchait pas,
fort heureusement, à tempérer. J’ai conservé une très bonne image de ce maître
jovial, truculent, bon vivant, plein d’humour, qui savait relever nos travers
pédagogiques avec finesse et qui prenait plaisir à nous raconter des anecdotes
drôles…Son enseignement et ses conseils me tinrent lieu, pendant toute ma
carrière d’enseignant, de ligne de conduite.
L’EN de Bouzaréah était un véritable séminaire laïc : la
discipline, très stricte, ne permettait pas de fantaisie. Tout élève-maître
surpris à frauder se trouvait automatiquement exclu et ses parents devaient
rembourser les frais d’internat correspondant au temps déjà passé à l’école.
Les élèves coupables de « chahut » étaient avertis, puis renvoyés
s’ils récidivaient. Pendant tout mon séjour, aucune exclusion définitive ne
se produisit.
J’appris là les rigueurs et la noblesse de ce beau métier
d’instituteur et je pris la résolution de l’exercer comme un sacerdoce, ce
qui ferait maintenant ricaner de beaux esprits !
Comme il existait en Algérie un Enseignement spécifique des indigènes,
avec ses méthodes propres, une section particulière accueillait pour un stage
d’une année des instituteurs venus de métropole, qui iraient ensuite, pour
la plupart, enseigner dans le bled. Pour avoir connu, durant une année
scolaire, les dures conditions de travail et d’existence de ces maîtres, je
voudrais ici leur rendre l’hommage qu’ils méritaient.
Extrait du livre « Un itinéraire singulier », de notre collègue
Lucien PATANI
Problèmes de recrutement
Un des plus sérieux problèmes rencontrés par l’E.N. de Mustapha puis de Bouzaréa dans les premières années de leur existence fut celui du recrutement. L’insuffisance du nombre des candidats et de leur niveau obligea les autorités académiques d’Alger à faire longtemps appel à des élèves-maîtres de métropole pour compléter les promotions. La correspondance qui suit montre bien la gravité de ce problème.
I
Extrait du rapport annuel 1878-79 du Directeur de l’E.N de Bouzaréah :
La préparation par trop insuffisante des jeunes aspirants qui ont pris
part au concours de 1878 n’a permis, malgré l’indulgence extrême de la
commission, que d’inscrire dix noms sur la liste d’admissibilité
Cela prouve combien le recrutement de nos élèves maîtres est
difficile, et la situation ne paraît pas à la veille de s’améliorer, car
les aspirants sont toujours peu nombreux, et il faut bien le répéter, la
qualité laisse encore plus à désirer que la quantité. Ce qui le prouve,
c’est que, sur 27 candidats qui ont pris part aux épreuves du concours de
l’année dernière, 4 seulement ont réuni les conditions voulues pour être
inscrits sur la liste d’admissibilité…M.le président de la commission a
voulu que la liste d’admissibilité portât au moins 10 noms, et il a fallu
pour arriver à ce chiffre, y inscrire des candidats ayant fait jusqu’à dix
fautes d’orthographe, alors que l’arrêté ministériel précité met
formellement hors de concours tout aspirant dont la dictée comporte plus de 4
fautes. Ce fait n’est pas isolé, et les élèves maîtres admis dans ces
conditions n’étaient guère plus mal préparés que ceux qui ont été reçus
pendant les quatre ou cinq dernières années. Voilà donc des jeunes gens à
peine âgés de quinze ans pour la plupart, d’une aptitude souvent médiocre,
point du tout habitués à un travail suivi et sérieux, passant sans transition
aucune de la liberté la plus grande à l’internat le plus absolu, obligés de
faire l’apprentissage de la vie en commun, de se plier à une discipline qui
ne peut que leur paraître sévère quoiqu’elle reste toujours paternelle.
Forcés enfin de parcourir, en trois ans de temps, un programme qui ne renferme
pas moins de 18 matières différentes parmi lesquelles il y en a dont les élèves
connaissent à peine le nom à leur entrée à l’école et qu’ils doivent
cependant approfondir dans une certaine mesure. L’école normale
d’institutrices de Miliana, au contraire, se recrute dans les conditions les
plus satisfaisantes, les aspirantes sont nombreuses et convenablement préparées,
la durée de leur séjour à l’école est également de trois ans, mais le
programme qu’elles ont à parcourir est beaucoup moins chargé, ce qui leur
permet de consacrer plus de soins à l’étude des matières du brevet
obligatoire.
II
Lettre de M. l’Inspecteur d’Académie d’Alger à Monsieur le Gouverneur Général
(5 août 1879)
Monsieur le Gouverneur Général,
J’ai l’honneur de vous transmettre le rapport annuel de Monsieur le
Directeur de l’école normale sur les élèves et la discipline.
Ce rapport appelle surtout l’attention sur la faiblesse du recrutement
annuel de l’école et sur les ajournements à l’examen du brevet qui en sont
chaque année la conséquence inévitable. Obligée pour se recruter, de prendre
ses élèves au dessous du niveau ordinaire, l’école, malgré les efforts des
maîtres, ne saurait les conduire à celui qui devrait marquer le terme des études
normales. Cette situation, qui intéresse à un haut point la situation générale
de l’instruction primaire en Algérie, vous paraîtra, Monsieur le Gouverneur
Général, digne de votre haute sollicitude. Monsieur le directeur demanderait
aux commissions d’examen du brevet un peu de condescendance pour cet état
forcé des études dans son établissement. Mais on peut penser que ce serait
aggraver le mal pour le dissimuler. Il vaut mieux le constater sans illusion sur
les choses, comme sans injustice pour les personnes et en chercher les remèdes.
Un de ceux qui s’offrent naturellement serait de demander aux départements
français, par voie de concours, les éléments de recrutement que les écoles
algériennes ne sont pas encore en mesure de fournie à l’école normale
d’instituteurs.
III Conséquence : Début du recrutement en métropole pour l’E.N. de Bouzaréah : le Ministre de l’ Éducation Nationale à Messieurs les Recteurs : Paris le 26 août 1881
Monsieur le Recteur,
Je suis informé que le nombre de candidats déclarés admissibles en
qualité d’élèves-maîtres, à l’école normale d’ Alger, n’est pas
suffisant pour assurer le recrutement des instituteurs nécessaires à la
colonie.
Il convient, dans cette situation, de faire appel aux jeunes gens de la métropole
qui ont subi avec succès l’examen
d’admission à une école normale du continent et ne peuvent y être reçus
faute de places vacantes.
Veuillez faire savoir à ceux de ces candidats qui appartiennent à votre
académie que, s’ils désirent entrer à l’école d’instituteurs d’Alger,
ils doivent adresser immédiatement leur demande à M. l’inspecteur d’académie
de leur département. Ils auront à produire l’engagement de servir pendant
dix ans en Algérie dans l’enseignement public…
Si l’obligation de remplir en Algérie les fonctions d’instituteur
pendant dix années devait faire obstacle à l’admission à l’école normale
d’Alger, je vous autorise à leur faire savoir que l’administration supérieure
se réserve d’accorder une réduction de temps à ceux qui auraient des motifs
sérieux à invoquer pour quitter la colonie et poursuivre leur carrière sur le
continent.
L’année dernière, les jeunes gens de la métropole qui sont entrés
à l’école normale d’Alger, ont tous obtenu une bourse entière de l’État ;
cette année, comme tous les élèves-maîtres vont être admis gratuitement
dans les écoles normales de France, j’ai dû rechercher quels avantages
exceptionnels il serait possible d’assurer aux élèves-maîtres appelés de
France en Algérie. J’ai décidé, en conséquence, sur la proposition et sur
l’avis de M. le recteur d’Alger, un dégrèvement total ou partiel des frais
de trousseau. De plus, la gratuité complète du voyage leur sera accordée, et
ce bénéfice leur restera acquis durant leur séjour à l’école normale d’Alger,
une fois chaque année, pour l’aller et pour le retour, à l’époque des
grandes vacances.
Je vous prie de porter la présente circulaire à la connaissance des intéressés.
Recevez…. » Signé » Jules FERRY
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Fondation du
journal « le Profane » (1928)
« Seuls les profanes pourront collaborer à ce journal ; seuls ils doivent en assumer les frais. Les frais indispensables au lancement du « Profane », qui sera vendu 25 centimes le numéro, sont de deux sortes : pâte à polycopier et papier ; ils représentent un total minimum de cent cinquante francs. La contribution de chaque profane se montera donc à l’insignifiante somme de trois francs. Étant donné que ce journal sera créé à seule fin de se distraire un peu pour le moment et de constituer un agréable souvenir pour plus tard, nous espérons fermement qu’aucune abstention ne sera à déplorer ».
Suivent les noms et signatures des élèves des deux sections, A et B, de deuxième année, soit un total de 56 élèves.
N.B. le nom de « profane » était donné aux élèves de deuxième année. Ceux de troisième année étaient les « vétérans ». Quant aux élèves de première année, la promotion rentrante, ils étaient appelés « tyrons »
Un tyron était dans l’armée romaine antique une nouvelle recrue, nous dirions aujourd’hui « un bleu ». Heureux temps où les références à la culture classique avaient encore un sens chez les jeunes.
Les Fondateurs du Profane
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Souvenirs d’un normalien de la promo « 27-30 »
La rentrée scolaire d’octobre 1927, la quinzième de ma vie, a été l’une des plus émouvantes : non seulement j’entrais à l’E.N. de Bouzaréa, mais encore, quelques jours après, mon meilleur camarade, Valmir Boissenot, venait m’y rejoindre, prolongeant ainsi l’amitié fraternelle qui nous avait unis durant quatre ans à l’E.P.P. de la Rampe Valée. Les affinités jouant, un troisième, Claude Garmier, se joignit à nous ; puis, comme les trois mousquetaires, nous fûmes quatre : le quatrième fut El Robrini Mohammed, de Cherchell, surnommé « Doudouille ». Nous trois, nous étions de Bab-el Oued : Valmir, de l’Avenue du Frais Vallon, Claude de l’Avenue de la Bouuzaréa, et moi de l’Esplanade…
Aujourd’hui, c’est surtout de Claude que je veux vous parler. Comme nous, il était issu de ce milieu modeste que seule une propagande mensongère a transformé aux yeux du monde en un bouillon de culture de profiteurs colonialistes : son père était serveur au restaurant du Pavillon Bleu, à Saint-Eugène ; sa mère était concierge de l’immeuble qui faisait l’angle du Boulevard Général Farre ; ils occupaient, au rez-de-chaussée, le logement qui avait été, en 1912, l’Institution Alberti, où, à deux ans, je fis mes débuts scolaires en attendant d’être admis à l’école maternelle de la rue Géricault…
Claude Garmier était un garçon charmant, doux, sérieux, travailleur, un peu timide. Pour ses parents, il était tout : non seulement il leur rendait toute l’affection qu’ils lui portaient, mais encore, en devenant normalien, il satisfaisait leur besoin de promotion sociale et les payait de tous leurs sacrifices. Quand nous nous raccompagnions mutuellement, après avoir fait la rue d’Isly, le samedi soir et les jours de congé, nous ne manquions pas de nous arrêter au passage bavarder avec maman Garmier qui nous parlait de son « petit » Claude et le faisait rougir par ses éloges. Vous devinez la joie de ces braves gens quand leur fils reçut sa première nomination d’Instituteur en septembre 1930. Maman Garmier pleura abondamment, à la fois de fierté et d’inquiétude car il était nommé très loin, dans le Sud Constantinois, à Kenchela, tandis que Valmir était chargé d’école au Quarantième après Berrouaghia, et que je débutais comme adjoint à Médéa…Quand nous nous revîmes, à Noël, ce pauvre Claude n’en pouvait plus. Il avait une classe de 110 petits musulmans qu’il distinguait mal les uns des autres et il n’avait pas encore résolu le problème des coiffures : par mesure d’hygiène, les élèves devaient laisser leurs chéchias hors de la classe et à chaque sortie c’était une mêlée homérique : la fin de la récréation arrivait avant que chacun ait pu récupérer sa calotte !…
1931 : c’est le départ « au Régiment ». Valmir et moi, nous réussissons à partir ensemble pour Saint-Maixent, au XXIème Cours d’E.O.R. ; « Doudouille » est marin sur le « Bapaume » ; Claude est tirailleur
Puis les années passent…Nous nous revoyons, de loin en loin, aux vacances…En 1939, nous sommes mobilisés dans des régiments différents : Valmir reste en Algérie et termine la guerre comme chef de bataillon tandis que, grièvement blessé le 21 mai 1940 au Canal de l’Ailette, prisonnier durant quelques mois puis rapatrié, je suis rayé des cadres pour invalidité en 1941. Aussitôt revenu, je vais m’enquérir de ce qu’est devenu Claude…
Le 16 juin 1940, juste avant l’armistice, alors que son unité se replie en traversant la Loire, près de Jargeau, un Stuka lâcha un chapelet de bombes en enfilade sur le pont…L’autorité militaire informa ses parents que le Sergent Garmier était porté « disparu ». Le coup fut rude, mais laissa un espoir : tout le monde essayait de les remonter en leur citant des cas de disparus de la grande guerre qu’on avait vu revenir. Ils attendaient donc, la mort dans l’âme. Les jours de trop grande inquiétude, ils allaient consulter des voyantes ou des radiesthésistes. La plupart leur disaient, sans doute par pitié pour leur angoisse qui faisait peine : « Votre fils est vivant. Il est loin, mais il reviendra ». Alors ils reprenaient espoir. Mais quand nous passions les voir, Valmir et moi, ils pleuraient tout en essayant de se convaincre que tout n’était pas perdu. Les semaines et les mois passaient. Un jour, le voile se déchira : ils comprirent que leur espoir était vain. Alors, d’un coup, ils vieillirent de vingt ans. Désormais, ils ne vécurent plus que dans la perspective d’aller rejoindre leur « petit » Claude. Disparus, eux aussi, ils sont maintenant réunis…
Des quatre normaliens heureux de 1927-1930, liés par une profonde sympathie, je suis le seul survivant, malgré mes sept blessures. De plus en plus souvent, je pense aux trois autres. Je les revois jeunes, souriants, dignes dans leur blouse noire réglementaire, déambulant sous les galeries de Bouzaréa balayées par le vent. Alors, moi aussi, je redeviens jeune et, la gorge un peu serrée, je souris à travers les larmes qui me montent aux yeux.
Émile HAZAN
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« Mais
où sont les neiges d’antan ? »
Il y a dix ans. Dix ans déjà, dix ans à peine. Il y a presque quinze ans, toute une promotion est en train de vivre, tant bien que mal, ses derniers jours de Bouzaréah, cette Jérusalem (frémissante des pas de notre Boualem) d’où la semence d’instituteur doit être projetée à travers l’Igamie d’Alger. Ce sont les derniers jours de Juin 1957. « Les évènements » comme on disait, vont leur train.
« Mais où sont les neiges d’antan ? ».
Alors dans le désœuvrement de ces classes en gamberge, quelqu’un, je ne sais plus qui, est allé jusqu’au tableau et a donné un formidable rendez-vous : « Tous à la Cafétéria, rue Michelet, dans dix ans, le 25 juin 1967, à 18 heures pour l’apéritif ». Magie des projets, unanimité fougueuse. Rendez-vous a été pris, des dizaines d’agendas ont été tirés, à quelle page, je ne sais. Ce que je sais, c’est qu’un de ces conscencieux a recommandé le rendez-vous suivant au 25 juin 1977, à la même heure, bien sûr. Je crois même que Gabriel Bordes a noté les consommations.
Mais où sont les eucalyptus, et les pins, les oliviers, les cigales ? Où sont Gilbert Lopez, René Pascoët et André Amouroux … ? Où sont-ils donc avec bien d’autres dont je n’ai jamais vu les noms sur notre annuaire ? « Que sont mes amis devenus ? ». Vers quel néant ont-ils disparus ? Après avoir reçu l’affectueux appel de Jean Vouillot je suis parti vers cette recherche du temps perdu. Un sentier m’a mené, sans trop savoir comment, vers cette vision fugitive que je croyais avoir reléguée.
« Aux yeux du souvenir que le monde est petit ».
Jacky PONS (Trait d’Union juin 1962)
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Oui!... c'est quarante six ans après avoir quitté l'EN de Bouzaréa que, à l'initiative de Louis Thiérry, les anciens normalos des promotions 41/45 et 42/46 se sont retrouvés les 21 et 22 septembre, à Sanary sur Mer.
Ce
fut un enchantement, une explosion de joies, de rires, une ambiance gaie et
survoltée ; ces retrouvailles après presque un demi-siècle (*) ont fait
vibrer les coeurs de tous les présents. Les rides, l'embonpoint, les toisons
blanches ou la calvitie n'avaient en rien altéré le grand plaisir de chacun..
, on passait du "Ti as pas changé !" au "j't'aurais pas
reconnu" ! Les anecdotes amusantes du temps de Bouza rejaillissaient, les
surnoms refleurissaient (Fiston, Bébé, le Caf, le Teuf, la patte folle, Peau
de Lap', Féfé, etc.). Tout le monde parlait à la fois. Quelle indiscipline I
Une
première rencontre, le samedi 21, à 16 heures, avait déjà fait "éclater"
tous les participants.
Le
lendemain, à 9 h 30, nous nous retrouvions, plus nombreux encore, au parking de
l'esplanade de Sanary,
Nous
nous rendions ensuite, au cimetière de Six-Fours-la-Plage, pour déposer
une gerbe sur la tombe de notre ami Alfred Mesquida. Louis Thierry évoqua le
souvenir de nos camarades disparus : Deroche, Bonnet, Romaggi, Hick, Senmartin,
Torrens, Mongenot, Mesquida, Madame Saint-Raymond,
Nous
nous retrouvions ensuite, au restaurant du Parc. Chacun avait apporté des
photos de promotion, de groupes, d'équipes sportives ou des photos de notre
Ecole Normale. Le souvenir de nos anciens "chefs" fut évoqué : L.P,
Renauld, Disdet, Puget, Gestas, Rahmani, Riffart, Delpretti, Chas, Mazier,
etc.
Et
puis, on se mit à table et au milieu des éclats de rire et des interpellations,
on vit apparaître, quelques comprimés, quelques sachets ou des sucrettes en
fin de repas ; on enten
dit
parler, discrètement, de prostate, de cholestérol, de rhumatismes ou de
migraine...
Les
temps avaient changé !
Voici
la liste de nos camarades qui ont participé, seuls ou avec leurs épouses à
ces retrouvailles... dans l'ordre alphabétique, bien sûr (appel obligatoire
!) : René Ancelin, Pierre Bertolino, André Brionès, René Burtin, Firmin
Doublier, Raoul Establier, René Farnet, Jean-Pierre Gestas, Gilbert Graille,
André Lafaurie, Edgard Lalanne, René Lalanne, Serge Lizée, Paul Marradès,
Jean Morlat, Jean Moncho, Vincent Parant, Claude Perret, Jacques Pilosu,
Gabriel Pio, Jacques Ramard, Jean Scotto, Pierre Ségura, Fernand Tellier, Louis
Thierry, Jacques Torrès, Raymond Torrès, Roger Willoquet.
Les
épouses de nos copains disparus Josette Mongenot et Christine Mesquida s'étaient
jointes à nous.
Une
parenthèse, toute spéciale, pour Vincent Parant (ex Parascandola) qui s'est
protégé des "agressions" féminines en restant célibataire à
soixante cinq ans et demi !
On
a échangé des photos, des adresses, des numéros de téléphone et on s'est
quitté avec l'espoir de se retrouver.
Après
une photo de l'ensemble des participants, le groupe s'est dispersé dans l'après-midi
du dimanche ou dans la soirée après une réunion restreinte chez Nadège et
Louis Thierry,
Bravo
Filils ! Tu as été un maître rassembleur. Un grand merci et un grand bravo
pour ta brillante organisation.
Merci
également au "Trait d'Union" qui nous a permis de retrouver les
adresses de nos anciens collègues.