LA VOIX DES PROMOTIONS

Nous voici philosophes depuis un trimestre. Dix-huit élèves qui ont élu domicile dans une salle de poche. On y respire mal, mais, nous, nous y sommes bien. Ce n'est pas une classe comme les autres, aussi froide, aussi triste, aussi ordonnée qu'une chapelle. Ici, pupitres, tableau et bureau se pressent, se touchent du bois: un noyau intime de désordre où on y voit clair. Et puis notre classe vit, pense, résonne de discussions. L'homogénéité de son groupe est le facteur essentiel de l'esprit qui y règne - un bon esprit, franc, sympathique, original -.

Dès le début, la promotion s'est tendu la main dans un bourdonnement de ruche. Nous nous sommes adoptés avec la poigne solide et le sourire aux lèvres. Et un soir quelqu'un a dit: "Nous formons une classe formidable"; alors les "C'est vrai!" se sont répandus aux quatre coins de la salle en signe d'acquiescement. Ce fut notre premier point. L'ambiance, captive, ici se fait docile. Nous l'avons apprivoisée avec l'aide de notre professeur de philo. Notre résolution a été prise en commun. Nous avons décidé de jouer franc jeu, de travailler, de combler les heures creuses avec du bon ciment. Quelque chose de solide. L'édifice commence à prendre forme. Déjà le silence est obtenu sans grand mal, l'emploi des heures 'étude est élaboré.

Nous ne regrettons pas d'avoir reçu le titre de philosophes. Nous en sommes fiers et tous nos efforts sont tendus vers un résultat. Ce que nous voulons, c'est construire, acquérir notre indépendance vis à vis des Matheux et des Sciences Ex., voir disparaître ce préjugé qui veut que la classe de Philo soit un paradis de tout repos. Si le bruit alerte quelques fois l'effectif des surveillants, ce n'est pas une déclaration de guerre. Les discussions enfiévrées ont toujours de la voix. Nous illustrons avec bonne volonté les paroles de Descartes: "Je pense, donc je suis". Ces chahuts disciplinés ont une signification: notre présence.

Si quelques uns d'entre nous cachent au fond de leur pupitre quelques poèmes ou pièces théâtrales... qu'ils ne se découragent pas si un brrrave normalien leur dit: "CINEMA". C'est idiot, sans finesse, usagé, vieillot... Il faut jeter les fleurs fanées.

Nous goûtons l'art et nous sommes tout prêts à adhérer à un club poétique, à la création d'une pièce. On nous a déjà compris et c'est avec enthousiasme que nous retrouvons chaque mardi les marionnettes qui animeront bientôt "la Farce de Maître Pathelin".

L'année avançant, et lorsque nous sentirons au creux de l'estomac le pincement sournois de l'examen, nous ne reculerons pas. La première pierre est posée. Chaque élève l'a scellée avec volonté, courage et espoir. Que chacun respecte les conditions. Et tout ira bien.

Les Philosophes (Mise en forme: CATALA)

ET VOUS, AUTRES PROMOTIONS, POUVEZ-VOUS EN DIRE AUTANT? NOTRE JOURNAL VOUDRAIT LE SAVOIR.